- T’as des nouvelles de Jonathan ?
- Non, pas depuis qu’il a pété un plomb à la réunion du C.E.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé au C.E. ?
- C’est Paula. Elle a demandé à ce qu’on remette des gobelets en plastique dans la machine à café parce qu’elle en a marre de chercher une tasse propre quand il y a un client.
- Mouais, ça n’a pas dû plaire à Môsieur Écolo !
- Tu parles, en plus y a Pedro qu’en a rajouté une couche.
- Ah ouais ?
- Ouais, il a voulu faire une blague. Il a dit un truc dans le genre : « En plus, si les femmes sont sorties de la cuisine, c’est pas pour faire la vaisselle au bureau. Faut être progressiste Jonathan ! »
- Il est drôle, Pedro.
- On était tous morts de rire. Sauf Jonathan, bien sûr.
- Il faut dire qu’il est chiant avec ses principes celui-là. Il n’a aucun humour.
- Hé, vous parlez de qui ?
- De Jonathan. Tu l’as vu toi, récemment ?
- Bah, je l’ai vu à la réunion COALITION DE GROUPE à laquelle on devait tous assister. Ou plutôt comme Jonathan préfère nous reprendre « TOUTES et TOUS ».
- Ou TOUT(ÈS)
- Ou TOUTOUESSE, hahaha.
- D’ailleurs vous étiez où vous deux ?
- On avait un mot d’excuse du patron.
- On avait une signature de contrat avec un GROS client
- Tu veux dire une belle cliente bien roulée (mains qui imitent le pelotage de nichons)
- (il tire la langue)
- T’inquiètes Géraldine, les tiens aussi on a envie de se les faire.
- Arrêtez les garçons, sinon je ne vous raconte pas ce qui s’est passé à cette réunion.
- On est tout ouïe. (mimant une fermeture éclair sur sa bouche)
- (mimant la fermeture éclair de sa braguette)
- Alors, comme vous vous en doutez, Mister Grognon est arrivé comme d’habitude avec plein d’enthousiasme. Il avait bossé comme un taré sur un projet de co-hé-sion de groupe. Franchement, c’était pas mal son truc. Il voulait qu’on attende septembre pour organiser la sortie annuelle d’équipe. Il avait contacté un vigneron …
- Ouais, continue…
- Ça nous parle ça.
- ..Nan, mais y avait quelque chose d’intéressant. Il proposait qu’on aille ramasser tous ensemble du raisin.
- Des vendanges, donc…
- Et qu’ensuite on participe à des dégustations avec le vigneron et qu’on passe les soirées avec les communautés que le paysan a l’habitude d’héberger pendant l’été.
- Ah.
- Et là c’est parti en sucette. Y a Sandrine qui était outrée. Elle a dit : « Je vais pas laisser mes enfants une semaine pour vivre avec des migrants dans un endroit pourri où je vais attraper la gale ». Jonathan a répondu que ce n’étaient pas des « migrants », mais une communauté d’artistes berbères qui participaient au festival de musique du monde annuelle du village.
- Aïe. J’imagine la tête de Fabrice
- Fabrice s’est bien foutu de sa gueule. Il a répondu : « Tu veux qu’on aille faire la fête avec des intégristes. Ils n’ont même pas le droit de boire d’alcool. Explique-moi à quel moment t’as pu penser que c’était une bonne idée ? ». Comme tout le monde était d’avis de Fabrice, Jonathan a compris qu’on en avait marre de ses trucs d’islamogauchiste. Il a récupéré sa clé usb, s’est assis et a refermé sa pochette. On ne l’a plus entendu de la réunion.
- Et du coup, on va où ?
- (toute excitée) On part à Madère dans un ressort hôtel. Et pour pas trop vexer Jonathan on s’est tous mis d’accord pour aller visiter les vignobles de l’île.
- Classe !
- Top !
- Bah, tu parles…ça ne lui a même pas fait plaisir.
- Je suis sûr qu’il pensait encore à ce putain de bilan carbone !
- (interpellant une nouvelle collègue) Hé Muriel ? Tu l’as vu, toi, Jonathan ?
- Vous parlez de qui ? De Jonapuant? Le mec qui porte deux jours d’affilés les mêmes vêtements ?
- (mort de rire) Pffoui, celui-là.
- Bah, son mec est venu déposé un papier, j’sais plus trop quand…
- Son mec ?
- Enfin, c’est ce qu’il fait croire. Parce que quand même, c’est bizarre. On est d’accord que d’habitude, ils sont quand même beaucoup plus maniérés. Ça se reconnait un homo ? Non ? Lui, j’y crois pas trop.
- Ouais, il est fourbe, ce mec.
Ils se dirigent tous vers le secrétariat.
- Christiane ? Il n’est pas venu au boulot aujourd’hui Jonathan ?
- Non, ça fait bien deux semaines qu’il est en arrêt maladie. Attendez que je vérifie. Oui, c’est ça. Son mari a déposé l’arrêt le 10 juin au matin. (Elle lit le document d’arrêt) Cause : syncope suite aux résultats des élections européennes.
Ils se mettent à rire tous ensemble de bon cœur. Au bout de quelques secondes, Christiane leur fait signe de s’arrêter. Pointant du doigt derrière eux. Jonathan est entré dans la pièce.
- Bonjour les collègues ! Ça a dû vous faire du bien ses élections ! Vous avez dû être bien contents ! Moi, j’avoue que voir la carte de France se teindre de marron, ça m’a bien fait chier ! Un putain d’électrochoc ! Vous voyez, je me disais, de la merde t’en entends tous les jours au bureau. Et je savais d’où ça venait. D’ici, de vous ! J’avais identifié le secteur FACHO. Il était là sous mon nez. Mais, quand je sortais d’ici, je pensais avoir à faire à des personnes avec un Q.I. plus élevé, moins cons, moins égocentrés, plus soucieux de notre planète, des uns et des autres. Le 9 juin : CHOC ! Je me dis : en fait tout le monde s’en fout de tout ! Coup de mou. J’ai lâché prise. Puis, mes potes ont rallumé la radio. Guillaume Meurice viré. J’ai commencé à vaciller de nouveau. Mais, ils m’ont tenu, et dit d’écouter. J’ai encore du mal à y croire : la gauche se reconstruit. On verra bien ce que ça durera, mais ça m’a donné la force de revenir vous emmerder ! J’ai la patate, moi. Je vais vous en faire voir de toutes les couleurs ! Un putain d’arc-en-ciel dans vos gueules ! JE SUIS DE RETOUR !