Un jardin… Si pour Michel Foucault les jardins et les prisons sont pour des raisons différentes des contre-espaces dans lesquels se rencontrent une réalité physique et des imaginaires, alors le labyrinthe est quant à lui une merveilleuse illustration de la fusion du jardin et de la prison. Un super contre-espace, donc !

 

Utiliser l’espace extérieur pour le façonner en labyrinthe, cela induit un savoir-faire technique et une formidable volonté de feindre l’illusion interactive. Le designer du labyrinthe met en scène un décor dans lequel il simule des possibles et des invitations aux parcours.

 

Le passant errant sans but dans un jardin, flânant tranquillement, se trouve tout à coup stoppé, les pieds joints, devant l’entrée du labyrinthe. Il change de posture. Il se redresse. Face à lui une haie de plusieurs mètres de hauteur et d’un bon mètre d’épaisseur ne lui laisse rien entrevoir. Seul passage, cet arc vouté. La curiosité le saisit. Que se cache-t-il derrière cette verdure épaisse ? Il fait son premier choix : s’introduire dans cet espace qui l’obligera à en faire de multiples autres.

En pénétrant le premier couloir, il sent son esprit pleinement éveillé. Il n’est plus dans un songe intérieur que lui permettait sa balade dans le jardin. Non, ici, il projette devant lui un nouveau projet, une quête. Il devient l’aventurier prêt à découvrir un trésor ! Il est acteur de son destin. C’est lui qui fait avancer l’histoire ! Il avance sans crainte et devant chaque intersection, fait un choix décidé : il prend à gauche, puis encore à gauche. Il sourit. Sa marche a fait naître en lui l’espoir. Ce drôle de sentiment qui rend ses yeux pétillants. Il se sent vivant ! Il se sent libre ? Oui, c’est ça, libre de ses choix ! Quel bonheur !

Il continue sa progression dans l’antre végétal et se félicite de pouvoir avancer comme il l’entend. Et puis, v’là le cul-de-sac ! L’expérience de l’échec. Le mauvais choix ? Il aurait fait un mauvais choix ? Mais personne ne lui a appris les règles. Il pensait être libre, pouvoir aller où il voulait et ce mur devant lui l’oblige à faire demi-tour. Il se retourne, puis se retourne encore. Il est bloqué. Il n’a plus d’autre choix que de revenir sur ses pas et de choisir une autre direction. Il reprend à gauche. Si ses calculs sont bons, cette fois, la gauche est la bonne ? Il avance et au bout de la troisième intersection l’espoir revient. Il redresse à nouveau la tête et avance d’un pas décidé. Il sent la victoire le gagner… puis nouveau blocage. Il retourne à nouveau en arrière et perd peu à peu ses repères. Des sensations de déjà vu l’envahissent. L’architecte du labyrinthe rit : il le tient ! Le marcheur a eu beau faire ses choix : on lui a menti, ce n’est pas la liberté qu’il pouvait expérimenter dans ce labyrinthe, mais seulement l’illusion, puis la désillusion.

 

Tête baissée, fatigué, désabusé, épuisé, après des heures à parcourir les couloirs, il parvient à trouver la sortie. Il peut enfin être heureux ? Non ! Il sait désormais que tout n’est qu’illusion de choix et que le labyrinthe n’a qu’un dessein, qu’une seule issue, celle décidée par le grand architecte !

Il retourne dans le jardin. Il s’assoit sur un banc, fait le choix de sortir à jamais de la vie labyrinthique et reprend le cours de sa journée. Il laisse les oiseaux lui conter une douce rêverie, mais tout d’un coup un bruit en provenance du labyrinthe l’extirpe de ses songes et l’amène à regarder la bête affreuse. Il voit alors des tentacules de haies projetés dans les airs dans tous les sens ! Il en a les larmes aux yeux ! La révolution est en place ! Un bulldozer ronfle sa colère et déchiquette l’œuvre de l’architecte en mille copeaux !

Le marcheur assis sur son banc devient un brin poète et dans la contemplation de ce carnage naissent en lui ces quelques vers :

 

« Que dans ce cimetière à ciel ouvert

Les racines des buis libérées de leurs chaînes,

Empruntent au gré de leurs envies,

Les chemins de la démocratie ;

Pour que la belle nature reprenne ses droits

Et que les êtres libres puissent faire leurs choix »

 

Malheureusement, il ne peut commencer une autre strophe, car à peine le bulldozer reparti, on vient planter dans la terre fraîchement retournée un panneau de chantier :

NOUVEAU PROJET DU GRAND ARCHITECTE :

PROCHAINEMENT, ICI, UN NOUVEAU LABYRINTHE !